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TRANSPARENCE DE L’AIR.

et si rapprochées les unes des autres que nos mules pouvaient à peine passer. Sur une de ces colonnes de glace reposait, comme sur un piédestal, un cheval gelé, les jambes en l’air. Cet animal avait dû, je pense, tomber dans un trou la tête la première, alors que ce trou était rempli de neige, puis les parties environnantes avaient disparu pendant le dégel.

Au moment où nous arrivons au sommet du Portillo, une véritable ondée de givre nous environne ; je regrette beaucoup cet incident, qui se continue pendant toute la journée, parce que cela me prive de la vue du pays. La passe a reçu le nom de Portillo à cause d’une crevasse, véritable porte, qui se trouve à la partie la plus élevée de la chaîne, et à travers laquelle passe la route. De ce point, quand le temps est clair, on peut apercevoir les plaines immenses qui s’étendent sans interruption jusqu’à l’Atlantique. Nous descendons jusqu’à la limite supérieure de la végétation, et nous trouvons un excellent abri pour la nuit sous quelques immenses fragments de rochers. Là, nous rencontrons quelques voyageurs qui nous accablent de questions sur l’état de la route dans les passes supérieures. À la nuit tombante, les nuages se dissipent soudain, l’effet est magique. Les grandes montagnes, resplendissant à la lumière de la lune, semblent surplomber tout autour de nous, on pourrait se croire dans une profonde crevasse ; le lendemain matin, ce même spectacle me frappe encore. À peine les nuages ont-ils disparu qu’il se met à geler très-fort ; mais comme il ne fait pas de vent, nous passons une nuit confortable.

À cette élévation, la lune et les étoiles brillent avec un éclat extraordinaire, grâce à l’admirable transparence de l’atmosphère. Les voyageurs se sont souvent étendus sur la difficulté qu’il y a à juger de l’altitude et des distances dans un pays de hautes montagnes, à cause de l’absence de tout point de comparaison. Il me semble que la véritable cause de cette difficulté provient de la transpa-

    berg, cette transformation de la neige glacée. Dernièrement le colonel Jackson (Journal of Geograph. Soc., vol. V, p. 12) l’a observée avec beaucoup de soin sur la Néwa. M. Lyell (Principles, vol. IV, p. 360) a comparé les fissures qui semblent déterminer cette conformation en colonnes, aux jointures qui traversent presque tous les rochers, mais qui se remarquent mieux dans les masses non stratifiées. Je puis faire observer que, dans le cas de la neige congelée, la conformation en colonnes doit provenir d’une action « métamorphique » et non pas d’un phénomène qui se produit pendant le dépôt.