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PÉROU.

Callao est un petit port, sale et mal bâti ; les habitants, tout comme ceux de Lima d’ailleurs, présentent toutes les teintes intermédiaires entre l’Européen, le nègre et l’Indien. Ce peuple m’a paru très-dépravé, très-adonné à l’ivrognerie. L’atmosphère est toujours chargée de mauvaises odeurs ; cette odeur particulière, qu’on retrouve dans presque toutes les villes des pays intertropicaux, est ici extrêmement forte. La forteresse, qui a soutenu sans se rendre le long siège de lord Cochrane, a une apparence imposante. Mais, pendant notre séjour, le président vendait les canons de bronze qui la défendent et en ordonna la démolition. Il donnait pour raison qu’il n’avait pas un seul officier à qui il pût confier un poste aussi important. Il avait de bonnes raisons pour le croire, car c’est en levant l’étendard de la révolte, alors qu’il commandait cette même forteresse, qu’il était arrivé à se faire proclamer président. Après notre départ de l’Amérique méridionale il lui arriva ce qui arrive à tous : il fut battu, fait prisonnier et fusillé.

Lima est situé dans le fond d’une vallée formée par la retraite graduelle de la mer. Cette ville se trouve à 7 milles (11 kilomètres) de Callao et à 500 pieds plus haut que le port ; mais la pente est si douce, que la route paraît absolument de niveau ; tant et si bien qu’arrivé à Lima on se refuse absolument à croire qu’on ait monté même une centaine de pieds. Humboldt a le premier fait remarquer cette curieuse illusion. Des collines abruptes, stériles, s’élèvent comme des îles du milieu de cette plaine, qui est divisée en larges champs par des murs de boue durcie. À peine voit-on un arbre dans ces champs, sauf quelques saules et, çà et là, un bosquet de bananiers et d’orangers. La ville de Lima est actuellement presque en ruine ; les rues ne sont pas pavées ; on rencontre à chaque pas des amas d’immondices sur lesquels des Gallinazos noirs, aussi apprivoisés que des volailles, cherchent des morceaux de charogne. Les maisons ont ordinairement un premier étage bâti en bois recouvert de plâtre à cause des tremblements de terre ; on voit encore quelques vieilles maisons habitées maintenant par plusieurs familles ; ces maisons sont immenses et contiennent des appartements aussi magnifiques que ceux que l’on peut voir n’importe où. Lima, la ville des rois, a dû être anciennement une ville splendide. Le nombre extraordinaire des églises qu’elle contient lui donne, aujourd’hui encore, un cachet tout particulier, surtout quand on la voit à une petite distance.

Un jour j’allai avec quelques négociants chasser dans le voisi-