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Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/418

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ARCHIPEL DES GALAPAGOS.

me traîner sur cette surface rugueuse ; mais l’aspect étrange de cette scène cyclopéenne compensait, et au delà, mes fatigues. Pendant ma promenade je rencontrai deux immenses tortues, chacune d’elles devait peser au moins 200 livres ; l’une mangeait un morceau de cactus ; quand je m’approchai d’elle, elle me regarda avec attention, puis s’éloigna lentement ; l’autre poussa un coup de sifflet formidable et retira sa tête sous sa carapace. Ces immenses reptiles, entourés par des laves noires, par des arbrisseaux sans feuilles et par d’immenses cactus, me semblaient de véritables animaux antédiluviens. Les quelques oiseaux aux couleurs sombres que je rencontrai çà et là n’avaient pas plus l’air de s’occuper de moi que des grandes tortues.

23 septembre. — Le Beagle se rend à l’île Charles. Depuis longtemps cet archipel est fréquenté ; il l’a été d’abord par les boucaniers et plus récemment par les baleiniers ; mais il n’y a guère que six ans qu’il s’y est établi une petite colonie. Il y a deux ou trois cents habitants ; ce sont presque tous des hommes de couleur bannis pour crimes politiques de la république de l’Équateur, dont Quito est la capitale. La colonie est située à environ 4 milles et demi dans l’intérieur des terres, et à une altitude d’un millier de pieds. La première partie de la route qui y conduit traverse des buissons d’arbrisseaux sans feuilles, semblables à ceux que nous avions vus à l’île Chatham. Un peu plus haut, les bois deviennent plus verts, et, dès qu’on a traversé le sommet de l’île, on se trouve rafraîchi par une belle brise du sud, et les yeux se reposent sur une belle végétation verte. Les herbes grossières et les fougères abondent dans cette région supérieure ; il n’y a cependant pas de fougères arborescentes ; on n’y trouve non plus aucun membre de la famille des palmiers, ce qui est d’autant plus singulier que, 360 milles plus au nord, l’île des Cocos tire son nom du grand nombre de cocotiers qui la recouvrent. Les maisons sont bâties irrégulièrement sur un terrain plat, où l’on cultive la patate et les bananes. Il est difficile de s’imaginer avec quel plaisir nous revoyons de la boue noire, nous qui, depuis si longtemps, n’avons vu que le sol brûlé du Pérou et du Chili septentrional. Bien que les habitants se plaignent incessamment de leur pauvreté, ils se procurent sans grande peine tous les aliments qui leur sont nécessaires. On trouve, dans les bois, des quantités innombrables de cochons et de chèvres sauvages ; mais les tortues leur fournissent leur principal aliment. Le nombre de ces animaux a, bien entendu, considérablement diminué dans cette île ;