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Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/450

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TAITI.

changer cette habitude ; mais c’est la mode, et cette raison est suffisante aussi bien à Taïti qu’à Paris. J’avoue que les femmes m’ont quelque peu désappointé ; elles sont loin d’être aussi belles que les hommes. Cependant elles ont quelques coutumes fort jolies, celle, par exemple, de porter une fleur blanche ou écarlate sur le derrière de la tête ou dans un petit trou percé dans chaque oreille ; elles portent souvent aussi une couronne de feuilles de cocotier, mais ce n’est plus un ornement, c’est une simple protection pour les yeux. Au résumé, il m’a semblé que les femmes, bien plus encore que les hommes, gagneraient beaucoup à porter un costume quelconque.

Presque tous les indigènes savent un peu d’anglais, c’est-à-dire qu’ils connaissent les noms des choses les plus usuelles ; c’en est assez, avec quelques signes, pour pouvoir converser avec eux. En revenant le soir au bateau, nous nous arrêtons pour contempler une scène charmante. Une grande quantité d’enfants jouaient sur le bord de la mer ; ils avaient allumé des feux de joie qui illuminaient les arbres et qui se reflétaient dans l’eau ; d’autres, se tenant par la main, chantaient des chansons du pays. Nous nous asseyons sur le sable pour assister à leur petite fête. Les chansons improvisées se rapportaient, je crois, à notre arrivée ; une petite fille chantait une phrase que les autres reprenaient en chœur. Cette scène suffisait à nous convaincre que nous nous trouvions sur les côtes d’une île de la célèbre mer du Sud.

17 novembre. — Notre livre de bord indique comme date mardi 17, au lieu de lundi 16. En nous avançant toujours de plus en plus vers l’est, nous avons gagné un jour. Avant déjeuner, une véritable flottille de canots entoure notre vaisseau ; je suis sûr qu’il monte à bord deux cents indigènes au moins. Nous sommes tous d’accord sur un point, c’est qu’il eût été impossible de recevoir en même temps un aussi grand nombre d’indigènes dans tous les autres pays que nous avons visités. Tous apportaient quelque chose à vendre, mais principalement des coquillages. Les Taïtiens comprennent parfaitement aujourd’hui la valeur de l’argent et ils le préfèrent aux vieux habits et à tous autres objets. Toutefois les différentes pièces de monnaie anglaises ou espagnoles les embarrassent beaucoup ; ils sont fort inquiets jusqu’à ce qu’on leur ait changé les petites pièces en dollars. Presque tous les chefs ont accumulé de véritables trésors. L’un d’eux, il n’y a pas longtemps, offrit 800 dollars (environ 4 000 francs) d’un petit bâtiment ; il n’est pas rare de leur voir