Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/451

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
435
EXCURSION DANS LES MONTAGNES.

dépenser de 50 à 100 dollars pour acheter une baleinière ou un cheval.

Je me rends à terre après déjeuner et je grimpe sur le flanc de la montagne la plus proche jusqu’à une hauteur de 2 000 à 3 000 pieds. Les montagnes rapprochées de la côte sont coniques et escarpées ; les roches volcaniques qui les composent sont coupées par de nombreux ravins qui se dirigent tous vers le centre de l’île. Après avoir traversé la bande étroite de terre fertile et habitée qui borde la mer, je suis un petit escarpement situé entre deux des ravins les plus profonds. La végétation est singulière ; elle consiste presque exclusivement en petites fougères mélangées un peu plus haut à des graminées grossières ; cette végétation ressemble à celle que l’on trouve sur quelques collines du pays de Galles, et cela surprend beaucoup, car on vient de quitter des bosquets de plantes tropicales. Au point le plus élevé où je suis parvenu, les arbres apparaissent de nouveau. Sur les trois zones que j’ai traversées, la première doit son humidité et, par conséquent, sa fertilité à ce qu’elle est absolument plate ; elle est, en effet, à peine élevée au-dessus du niveau de la mer et l’eau s’écoule très-lentement. La zone intermédiaire ne plonge pas, comme la zone supérieure, dans une atmosphère humide et nuageuse et reste par conséquent stérile. Les bois de la zone supérieure sont fort jolis ; les fougères arborescentes remplacent les cocotiers que l’on trouve sur la côte. Il ne faudrait pas supposer, cependant, que ces forêts soient aussi splendides que celles du Brésil ; on ne peut, d’ailleurs, s’attendre à trouver sur une île un nombre aussi considérable de productions que sur un continent.

Du point le plus élevé auquel je suis parvenu, j’aperçois parfaitement, malgré son éloignement, l’île d’Eimeo, qui appartient au souverain de Taïti. Sur les hautes montagnes de cette île reposent d’immenses masses de nuages qui semblent former une île dans le ciel bleu. L’île, à l’exception d’une passe fort étroite, est complètement entourée par un récif. Vue à une si grande distance, on aperçoit une ligne blanche, étroite, mais bien définie, là où les vagues viennent se briser sur la muraille de corail. Les montagnes s’élèvent abruptement du véritable lac compris à l’intérieur de cette ligne blanche, à l’extérieur de laquelle les eaux agitées de l’Océan revêtent des teintes foncées. Ce spectacle est frappant ; on pourrait le comparer à une gravure dont le cadre représenterait les récifs, la marge blanche les eaux tranquilles du lac, et la