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AUSTRALIE.

semble les commander ; ils s’arrêtent immédiatement et lancent leurs javelots pour mon amusement. Ils portent quelques vêtements, et la plupart d’entre eux savent quelques mots d’anglais. Leur figure respire la bonne humeur ; leurs traits ne sont pas désagréables et ils paraissent bien moins dégradés que je ne le supposais. Ils savent admirablement se servir de leurs armes. On place une casquette à 30 mètres de distance, et ils la transpercent avec une de leurs lances, qu’ils envoient avec leur bâton de jet ; on dirait une flèche lancée par l’archer le plus expérimenté. Ils ont la plus grande sagacité dès qu’il s’agit de poursuivre l’homme ou les animaux ; j’ai entendu plusieurs d’entre eux faire des remarques qui prouvent beaucoup de finesse. Mais rien ne peut les décider à cultiver le sol, à bâtir des maisons et à s’établir à poste fixe en quelque endroit que ce soit ; ils ne veulent même pas se donner la peine de soigner les troupeaux qu’on leur donne. En somme, ils me paraissent un peu plus élevés que les Fuégiens dans l’échelle de la civilisation.

Il est très-curieux de voir, au milieu d’un peuple civilisé, une quantité de sauvages inoffensifs, qui crient de toute part sans savoir où ils passeront la nuit, et qui se procurent leurs aliments en chassant dans les bois. À mesure que l’homme blanc s’avance dans l’intérieur, il envahit des territoires appartenant à plusieurs tribus. Bien qu’environnées de toutes parts, ces tribus ne se mêlent pas les unes aux autres et se font même quelquefois la guerre. Un engagement a eu lieu dernièrement, les adversaires choisirent très-singulièrement pour champ de bataille la grande place du village de Bathurst. C’était une bonne idée d’ailleurs, car les vaincus purent se réfugier dans les maisons.

Le nombre des indigènes décroît rapidement. Pendant tout mon voyage, à l’exception de la troupe dont je viens de parler, je n’ai rencontré que quelques gamins élevés par des Anglais. Cette disparition provient sans doute de l’usage des spiritueux, des maladies européennes (les maladies européennes les plus simples, telles que la rougeole[1], provoquent chez les sauvages les ravages les plus

  1. Il est fort à remarquer que la même maladie se modifie très-considérablement dans différents climats. À Sainte-Hélène, on redoute autant que la peste l’introduction de la fièvre scarlatine. En différents pays, étrangers et indigènes sont affectés par certaines maladies contagieuses de façons aussi différentes que s’ils étaient des animaux distincts. On pourrait citer, à l’appui, des faits qui se sont produits au Chili et, selon Humboldt, au Mexique.