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EXTINCTION DES INDIGÈNES.

épouvantables) et de l’extinction graduelle des animaux sauvages. On dit que la vie errante des sauvages fait périr une quantité d’enfants pendant les premiers mois de leur vie ; or, à mesure qu’il devient plus difficile de se procurer des aliments, il devient aussi plus nécessaire d’errer beaucoup. En conséquence, la population, sans qu’on puisse attribuer la mortalité à la famine, décroît de façon extrêmement soudaine, comparativement à ce qui se passe dans les pays civilisés. Dans ces derniers pays, en effet, le père peut ruiner sa santé en accomplissant un travail au-dessus de ses forces, mais, en ce faisant, il ne nuit en rien à la santé de ses enfants.

Outre ces causes évidentes de destruction, il paraît y avoir ordinairement en jeu quelque agent mystérieux. Partout où l’Européen porte ses pas, la mort semble poursuivre les indigènes. Considérons, par exemple, les deux Amériques, la Polynésie, le cap de Bonne-Espérance et l’Australie, partout nous observons le même résultat. Ce n’est pas l’homme blanc seul, d’ailleurs, qui joue ce rôle de destructeur ; les Polynésiens d’extraction malaisienne ont aussi chassé devant eux, dans certaines parties de l’archipel des Indes orientales, les indigènes à peau plus noire. Les variétés humaines semblent réagir les unes sur les autres de la même façon que les différentes espèces d’animaux, le plus fort détruit toujours le plus faible. Ce n’était pas sans tristesse que j’entendais, à la Nouvelle-Zélande, les magnifiques indigènes me dire qu’ils savaient bien que leurs enfants disparaîtraient bientôt de la surface du sol. Tout le monde a entendu parler de la diminution inexplicable, depuis l’époque du voyage du capitaine Cook, de la population indigène, si belle et si saine, de l’île de Taïti ; là, au contraire, on aurait pu s’attendre à une augmentation de population, car l’infanticide, qui régnait autrefois avec une intensité si extraordinaire, a presque entièrement cessé : les mœurs ne sont plus aussi mauvaises, et les guerres sont devenues beaucoup moins fréquentes.

Le révérend J. Williams soutient dans son intéressant ouvrage[1] que, partout où les indigènes et les Européens se rencontrent, « il se produit invariablement des fièvres, des dyssenteries ou quelques autres maladies qui enlèvent une grande quantité de monde. » Il ajoute : « Il est un fait certain et qu’on ne peut contester, c’est que la plupart des maladies qui ont régné dans les îles pendant ma résidence y ont été apportées par des bâtiments ; ce qui rend

  1. Narrative of Missionary Enterprise, p. 282.