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Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/504

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ILE KEELING.

dans ces endroits, lutter constamment à qui l’emportera sur l’autre ; or, bien que la terre ferme ait en quelque sorte remporté la victoire, les habitants de l’eau ne veulent pas encore abandonner un terrain qu’ils semblent regarder comme leur propriété. De toutes parts on rencontre des crabes ermites de plus d’une espèce[1], portant sur leur dos des coquillages qu’ils ont volés sur la côte voisine. Des frégates, des oies et des sternes perchent en grand nombre sur les arbres ; de toutes parts on ne voit que des nids et l’atmosphère est empestée par l’odeur de la fiente des oiseaux. Les oies, posées sur leurs nids grossiers, vous regardent passer d’un air stupide, mais irrité. Les benêts, comme leur nom l’indique, sont de petits animaux stupides. Il y a toutefois un charmant oiseau, c’est une petite hirondelle de mer, aussi blanche que la neige qui plane à quelques pieds au-dessus de votre tête ; on dirait que son grand œil noir étudie avec curiosité votre physionomie. Il faut bien peu d’imagination pour se figurer que quelque fée errante habite ce corps si léger et si délicat.

Dimanche 3 avril. — Après le service divin j’accompagne le capitaine Fitz-Roy jusqu’à la colonie située à une distance de quelques milles sur la pointe d’un îlot couvert d’immenses cocotiers. Le capitaine Ross et M. Liesk habitent une espèce de grange, ouverte aux deux extrémités, tapissée à l’intérieur de paillassons en écorce. Les maisons des Malais sont rangées le long de la côte. Tout ce village offre l’aspect de la désolation, car il n’y a ni jardins ni traces de culture. Les habitants appartiennent à différentes îles de l’archipel Indien, mais tous parlent la même langue ; nous voyons là des indigènes de Bornéo, des Célèbes, de Java et de Sumatra. Leur peau a la même couleur que celle des Taïtiens et leurs traits sont à peu près identiques à ceux de ces derniers. Quelques femmes, cependant, ont un peu le caractère chinois. En général, je puis dire que leur physionomie et le son de leur voix m’ont assez plu. Ils paraissent être fort pauvres, il n’y a aucun meuble dans leurs maisons ; mais les beaux enfants que j’ai vus n’en prouvent pas moins que les noix de coco et les tortues forment après tout une excellente nourriture.

  1. Les grandes pinces de quelques-uns de ces crabes sont admirablement adaptées pour former au coquillage un opercule presque aussi parfait que celui qui appartenait originairement au mollusque. On m’a affirmé, et mes observations tendent à confirmer cette assertion, que diverses espèces d’ermites emploient toujours certaines espèces de coquillages.