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ILE MAURICE.

dire, je crois, que Calais et Boulogne sont devenus beaucoup plus anglais que l’île Maurice. Il y a ici un joli petit théâtre où on joue fort bien l’opéra. Ce n’est pas sans quelque surprise que nous voyons de grandes boutiques de libraires aux rayons bien garnis. La musique et la lecture nous indiquent que nous nous rapprochons du vieux monde, car l’Australie et l’Amérique sont des mondes nouveaux dans toute la force du terme.

Un des spectacles les plus intéressants qu’offre la ville de Port-Louis, c’est de voir des hommes de toutes les races circuler dans les rues. On amène ici les Indiens condamnés à la transportation ; il y en a actuellement huit cents, employés à différents travaux publics. Avant de voir ces gens, je ne me figurais pas que les habitants de l’Inde aient un aspect aussi imposant ; ils ont la peau extrêmement foncée ; beaucoup de vieillards portent de grandes moustaches et toute leur barbe est aussi blanche que la neige. Cette barbe, ajoutée au feu de leur physionomie, leur donne l’aspect le plus noble. Le plus grand nombre d’entre eux a été transporté à la suite de meurtres ou d’autres crimes ; d’autres pour des causes qu’on peut à peine considérer comme une infraction à la morale : pour n’avoir pas, par exemple, obéi aux lois anglaises en raison de motifs superstitieux. Ces hommes, ordinairement fort tranquilles, se conduisent très-bien ; leur conduite, leur propreté, leur fidèle observation de leur étrange religion, tout concourt à en faire une classe toute différente de celle de nos misérables convicts de la Nouvelle-Galles du Sud.

1er mai, dimanche. — Je vais faire une promenade sur le bord de la mer, au nord de la ville. De ce côté, la plaine n’est pas cultivée ; elle consiste en un champ de laves noires recouvertes de graminées grossières et de buissons. Les arbres qui composent ces derniers sont presque tous des mimosées. On peut dire que le paysage a un caractère intermédiaire entre celui des Galapagos et celui de Taïti ; mais je crains bien que cette description n’apprenne pas grand’chose à personne. C’est en somme un pays fort agréable, mais qui n’a ni les charmes de Taïti, ni la grandeur du Brésil. Le lendemain, je fais l’ascension de la Pouce, montagne ainsi appelée parce qu’elle est surmontée d’un rocher qui ressemble à un pouce ; elle s’élève derrière la ville, et atteint une altitude de 2 600 pieds. Le centre de l’île consiste en un grand plateau entouré de vieilles montagnes basaltiques en ruines, dont les couches s’inclinent vers la mer. Le plateau central, formé de coulées de lave comparativement