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SAINTE-HÉLÈNE.

en tiraient ; or on a publié une ordonnance défendant de toucher à ces plantes, en donnant pour seule raison que les perdrix, si on les détruisait, ne trouveraient plus où faire leurs nids !

Dans mes promenades, je passe plus d’une fois sur les plaines gazonnées, bordées par de profondes vallées, où se trouve Longwood. Vue à une courte distance, cette habitation ressemble à la maison de campagne d’un homme aisé. Devant la maison, quelques champs cultivés ; par derrière, une colline formée de rochers colorés appelée le Mât, et la masse noire déchiquetée de la Grange. En somme, la vue est triste et peu intéressante. Les vents impétueux qui règnent sur ce plateau m’ont beaucoup fait souffrir pendant mes promenades. J’ai remarqué un jour une circonstance curieuse : je me tenais sur le bord d’un plateau terminé par un grand précipice ayant environ 1 000 pieds de profondeur ; je vis, à la distance de quelques mètres, des oiseaux luttant contre un vent très-fort, alors que l’air était parfaitement calme à l’endroit où je me trouvais. Je m’approchai jusqu’au bord même du précipice, dont la muraille semblait arrêter le courant d’air, j’étendis la main, et je sentis immédiatement la force du vent. Une barrière invisible, ayant à peine 2 mètres de largeur, séparait un air parfaitement calme d’un vent très-violent.

Mes promenades au milieu des rochers et des montagnes de Sainte-Hélène m’avaient causé tant de plaisir, que ce fut presque avec un sentiment de regret que, le 14, je redescendis à la ville. Avant midi j’étais à bord, et le Beagle mettait à la voile.

Le 19 juillet nous atteignons l’Ascension ; ceux qui ont vu une île volcanique, située sous un ciel de feu, pourront immédiatement se figurer ce que c’est que l’Ascension. Ils se représenteront des collines coniques, rouge vif, aux sommets ordinairement tronqués et qui s’élèvent séparément d’un plateau de lave noire et rugueuse. Une montagne principale, située au centre de l’île, semble la mère de tous les cônes plus petits. On l’appelle la colline Verte ; elle a reçu ce nom en raison d’un peu de verdure qui la recouvre, mais qu’on aperçoit à peine, pendant cette saison de l’année, du port où nous avons jeté l’ancre. Pour compléter cette scène désolée, les rochers noirs qui forment la côte sont incessamment recouverts par une mer toujours agitée.

La colonie est située sur la côte ; elle consiste en plusieurs maisons et en casernes placées irrégulièrement, mais bâties en pierre