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L’ASCENSION.

blanche. Les seuls habitants sont des troupes de marine et quelques nègres mis en liberté à la suite de la capture de négriers ; ces nègres reçoivent une pension du gouvernement. Il n’y a pas un seul particulier dans l’île. La plupart des soldats paraissent contents de leur sort ; ils pensent qu’il vaut mieux faire leur congé de vingt et un ans à terre, quelle que soit d’ailleurs cette terre, que dans un vaisseau, et j’avoue que je partage absolument leur opinion.

Le lendemain je fais l’ascension du mont Vert, qui a 2840 pieds de hauteur ; de là je traverse l’île pour me rendre à la côte située sous le vent. Une bonne route carrossable conduit de l’établissement de la côte aux maisons, aux jardins et aux champs, situés près du sommet de la montagne centrale. Sur le bord de la route on trouve des citernes remplies de fort bonne eau où les voyageurs peuvent se désaltérer. Dans toutes les parties de l’île, on a aménagé les sources de façon à ce qu’il ne se perde pas une seule goutte d’eau ; on peut, en somme, comparer l’île entière à un grand vaisseau tenu dans l’ordre le plus parfait. Je ne pouvais m’empêcher, tout en admirant le talent qu’on a dépensé pour obtenir de tels résultats avec de tels moyens, de regretter en même temps que tout cela soit inutile. M. Lesson a fait remarquer avec beaucoup de justesse que la nation anglaise seule a pu penser à faire de l’Ascension un endroit producteur ; tout autre peuple en aurait tout simplement fait une forteresse au milieu de l’Océan.

Rien ne pousse auprès de la côte ; plus loin, à l’intérieur, on rencontre de temps en temps un plant de ricin et quelques sauterelles, ces véritables amies du désert. Sur le plateau central on trouve çà et là un peu d’herbe ; en somme, on se croirait dans les parties les plus pauvres des montagnes du pays de Galles. Mais, quelque maigres que puissent paraître ces pâturages, ils n’en suffisent pas moins pour nourrir environ six cents moutons, beaucoup de chèvres, quelques vaches et quelques chevaux. En fait d’animaux indigènes, on trouve une quantité considérable de rats et de crabes terrestres. On peut douter que le rat soit réellement indigène ; M. Waterhouse en a décrit deux variétés : l’une, noire, ayant une belle fourrure brillante, vit sur le plateau central ; l’autre, brune, moins brillante, ayant des poils plus longs, habite le village près de la côte. Ces deux variétés sont un tiers plus petites que le rat noir commun (Mus Ratus) ; elles diffèrent, en outre, du rat commun et par la couleur et par le caractère de leur fourrure, mais il n’y a pas d’autre différence essentielle. Je suis disposé à croire que ces rats,