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BAHIA.-BRÉSIL

d’endroits où le sol, rouge brillant, vienne former un contraste avec le revêtement vert universel. De cette plaine on aperçoit soit l’Océan, soit la grande baie entourée d’arbres qui plongent leurs rameaux dans la mer, et où on voit de nombreux bâtiments et des canots couverts de voiles blanches. Si on en excepte ces endroits, l’horizon est très-borné ; on n’a guère que quelques échappées sur les vallées. Les maisons et surtout les églises ont une architecture singulière et assez fantastique. Elles sont toutes blanchies à la chaux, de telle sorte que, quand elles sont éclairées par le soleil brillant du jour, ou qu’on les voit se détacher sur l’azur du ciel, on dirait plutôt des palais féeriques que des édifices réels.

Tels sont les éléments du paysage, mais il serait inutile d’essayer de peindre l’effet général. De savants naturalistes ont essayé de dépeindre ces paysages du tropique en nommant une multitude d’objets et en indiquant quelques traits caractéristiques de chacun d’eux. C’est là un système qui peut donner quelques idées définies à un voyageur qui a vu ; mais comment s’imaginer l’aspect d’une plante dans le sol qui l’a vue naître, quand on ne l’a vue que dans une serre ? Qui donc, après avoir vu quelque plante de choix dans une serre, peut s’imaginer ce qu’elle est quand elle atteint la dimension d’un arbre fruitier ou qu’elle forme des bosquets impénétrables ? Qui pourrait, après avoir vu dans la collection d’un entomologiste de magnifiques papillons exotiques, de singulières cicadées, associer à ces objets sans vie la musique incessante que produisent ces derniers, le vol lent et paresseux des premiers ? Or ce sont là les spectacles que l’on voit tous les jours sous les tropiques. C’est au moment où le soleil a atteint sa plus grande hauteur qu’il faut considérer ce spectacle ; alors le magnifique feuillage du manguier projette une ombre épaisse sur le sol, tandis que les branches supérieures resplendissent du vert le plus brillant sous les rayons d’un soleil de feu. Dans les zones tempérées le cas est tout différent ; la végétation n’a pas des couleurs si foncées ni si riches, aussi les rayons du soleil couchant, teintés de rouge, de pourpre ou de jaune brillant, sont ceux qui ajoutent le plus aux beautés du paysage.

Combien de fois n’ai-je pas désiré trouver des termes capables d’exprimer ce que je ressentais quand je me promenais à l’ombre de ces magnifiques forêts ! Toutes les épithètes sont trop faibles pour donner à ceux qui n’ont pas vu les régions intertropicales la sen-