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PERNAMBOUC

sation des jouissances que l’on éprouve. J’ai déjà dit qu’il est impossible de se faire une idée de ce qu’est la végétation des tropiques en voyant les plantes enfermées dans une serre ; il faut cependant que j’insiste sur ce point, le paysage tout entier est une immense serre luxuriante créée par la nature elle-même, mais dont l’homme a pris possession et qu’il a embellie de jolies maisons et de magnifiques jardins. Tous les admirateurs de la nature n’ont-ils pas désiré avec ardeur voir le paysage d’une autre planète ? Eh bien ! on peut dire en toute vérité que l’Européen peut trouver, à quelque distance de sa patrie, toutes les splendeurs d’un autre monde. Pendant ma dernière promenade, je tâchai de m’enivrer pour ainsi dire de toutes ces beautés, j’essayai de fixer dans mon esprit une impression qui, je le savais, devait un jour s’effacer. On se rappelle parfaitement la forme de l’oranger, du cocotier, du palmier, du manguier, du bananier, de la fougère arborescente, mais les mille beautés qui font de tous ces arbres un tableau délicieux doivent s’effacer tôt ou tard. Cependant, comme une histoire qu’on a entendue pendant son enfance, elles laissent en vous une impression semblable à celle que laisserait un songe traversé de figures indistinctes, mais admirables.

6 août. — Nous prenons la mer dans l’après-midi avec l’intention de nous rendre directement aux îles du Cap-Vert. Des vents contraires nous retiennent et, le 19, nous entrons à Pernambouc, grande ville située sur la côte du Brésil par 8 degrés de latitude sud. Nous jetons l’ancre en dehors de la barre, mais peu de temps après un pilote vient à bord et nous conduit dans le port intérieur ; là nous sommes tout près de la ville.

Pernambouc est construit sur quelques bancs de sable étroits et peu élevés, séparés les uns des autres par des canaux d’eau salée peu profonds. Les trois parties dont se compose la ville sont reliées les unes aux autres par deux ponts très-longs, bâtis sur pilotis. Cette ville est dégoûtante, les rues sont étroites, mal pavées, encombrées d’immondices, les maisons sont hautes et tristes. La saison des pluies venait à peine de finir, aussi tout le pays environnant, très-peu élevé au-dessus du niveau de la mer, était-il entièrement couvert d’eau ; je ne pus donc faire aucune promenade. La plaine marécageuse sur laquelle est construit Pernambouc est entourée, à la distance de quelques milles, par un demi-cercle de collines peu élevées, extrême bordure d’un plateau qui s’élève à environ 200 pieds au-dessus du niveau de la mer. La vieille ville d’Olenda