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Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/55

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ARAIGNÉES.

le poison ait produit son effet. On peut juger de la virulence de ce poison par le fait que j’ouvris le cocon au bout d’une demi-minute et qu’une large guêpe qui y était enfermée était déjà morte. Cette Epeire se tient toujours la tête en bas vers le centre de sa toile. Quand on la dérange, elle agit différemment, selon les circonstances ; s’il y a un fourré au-dessous de sa toile, elle se laisse tomber tout à coup. J’ai pu voir plusieurs de ces araignées allonger le fil qui les retient à la toile pour se préparer à tomber. Si, au contraire, le sol est nu, l’Epeire se laisse rarement tomber, mais passe rapidement d’un côté à l’autre de la toile par un couloir central ménagé à cet effet. Si on la dérange encore, elle se livre à une curieuse manœuvre : placée au centre de la toile, qui est attachée à des branches élastiques, elle l’agite violemment jusqu’à ce qu’elle acquière un mouvement vibratoire si rapide, que le corps de l’araignée elle-même devient indistinct.

On sait que, quand un gros insecte se prend dans leurs toiles, la plupart de nos araignées anglaises essayent de couper les lignes et de mettre leur proie en liberté pour sauver leur filet d’une entière destruction. Une fois, cependant, je vis dans une serre, dans le Shropshire, une grosse guêpe femelle se prendre dans la toile irrégulière d’une toute petite araignée, qui, au lieu de couper les lignes de sa toile, continua avec persévérance à entourer de fils le corps, et surtout les ailes de sa proie. La guêpe essaya bien des fois d’abord de frapper son petit antagoniste avec son aiguillon, mais ce fut en vain. Après une lutte de plus d’une heure, j’eus pitié de la guêpe ; je la tuai, puis la replaçai dans la toile. L’araignée revint bientôt et, une heure après, je fus tout surpris de la trouver les mâchoires fixées dans l’orifice par lequel sort l’aiguillon de la guêpe vivante. Je chassai l’araignée deux ou trois fois ; mais, pendant vingt-quatre heures, je la retrouvai suçant toujours à la même place ; elle se gonfla même considérablement, distendue qu’elle était par les sucs de sa proie, qui était beaucoup plus grosse qu’elle ne l’était elle-même.

Il est peut-être bon de mentionner ici que j’ai trouvé près de Santa-Fé Bajada beaucoup de grosses araignées noires, portant sur le dos des taches rouges ; ces araignées vivent en troupes. Les toiles sont placées verticalement, disposition qu’adopte invariablement le genre Epeire ; elles sont séparées l’une de l’autre par un espace d’environ 2 pieds, mais sont toutes attachées à certaines lignes communes extrêmement longues et qui s’étendent à toutes les parties de la