Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/62

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prend alors ses repas avec la famille et on lui donne une chambre où il fait son lit avec les couvertures de son recado (ou selle des Pampas). Il est curieux de remarquer combien les mêmes circonstances produisent des mœurs presque analogues. Au cap de Bonne-Espérance, on pratique universellement la même hospitalité et presque la même étiquette. La différence de caractère qui existe entre l’Espagnol et le paysan Hollandais se révèle de suite, en ce que le premier ne pose jamais une seule question à son hôte en dehors de ce qu’exigent les règles les plus sévères de la politesse, tandis que le bon Hollandais lui demande d’où il vient, où il va, ce qu’il fait, ou même combien de frères, de sœurs, ou d’enfants il peut avoir.

Peu de temps après notre arrivée chez don Juan, on chasse vers la maison un des grands troupeaux de bestiaux et on choisit trois animaux qui doivent être abattus pour les besoins de l’établissement. Ces bestiaux à demi sauvages sont fort actifs ; or, comme ils connaissent fort bien le fatal lasso, ils font faire aux chevaux une longue et rude chasse avant de se laisser saisir. Après avoir été témoins de la grossière richesse qu’indique un nombre aussi considérable d’hommes, de bestiaux et de chevaux, c’est presque un spectacle que de considérer la misérable maison de don Juan. Le plancher se compose simplement de terre durcie, les fenêtres n’ont pas de vitres ; la décoration du salon consiste en quelques chaises fort communes, quelques tabourets et deux tables. Bien qu’il y ait plusieurs étrangers, le souper ne se compose que de deux plats, immenses à la vérité, l’un contenant du bœuf rôti, l’autre du bœuf bouilli et quelques morceaux de citrouille ; on ne sert aucun autre légume et pas même un morceau de pain. Un grand pot de grès plein d’eau sert de verre à toute la compagnie. Et cependant cet homme possède plusieurs milles carrés de terrain, dont la presque totalité peut produire du blé et avec un peu de soin, tous les légumes ordinaires. On passe la soirée à fumer et on improvise un petit concert vocal avec accompagnement de guitare. Les segnoritas, assises toutes ensemble dans un coin de la salle, ne soupent pas avec les hommes.

On a écrit tant d’ouvrages descriptifs sur ces pays, qu’il est presque superflu de décrire le lasso ou les bolas. Le lasso consiste en une corde très-forte, mais très-mince, faite en cuir non tanné, tressé avec soin. Une des extrémités est fixée à la large sangle qui maintient l’appareil compliqué du recado ; l’autre se termine