Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/64

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vu prendre toutes sortes d’animaux, mais qu’ils n’avaient jamais vu un homme se prendre lui-même.

Le surlendemain j’atteignis le point le plus éloigné que je désirais visiter. Le pays conserve le même caractère, si bien que le beau gazon devient plus fatigant que la route la plus poudreuse. Je vis de tous côtés un grand nombre de perdrix (Nothura major). Ces oiseaux ne vont pas en compagnies et ne se cachent pas comme les perdrix en Angleterre ; c’est au contraire un animal fort stupide. Un homme à cheval n’a qu’à décrire autour de ces perdrix un cercle, ou plutôt une spirale, qui le rapproche d’elles chaque fois davantage, pour en assommer à coups de bâton autant qu’il peut en désirer. La méthode la plus ordinaire est de les chasser avec un nœud coulant, ou un petit lasso fait avec la tige d’une plume d’autruche attachée à l’extrémité d’un long bâton. Un enfant monté sur un vieux cheval tranquille peut ainsi en attraper trente ou quarante en un seul jour. Dans l’extrême nord de l’Amérique septentrionale[1], les Indiens chassent le lapin d’Amérique en décrivant une spirale autour de lui, pendant qu’il est hors de son gîte ; le milieu du jour, alors que le soleil est élevé et que le corps du chasseur ne projette pas une ombre trop longue, est, pense-t-on, le meilleur moment pour cette espèce de chasse.

Nous revenons à Maldonado par une route un peu différente. Je passe un jour dans la maison d’un vieil Espagnol fort hospitalier, auprès de Pan de Azucar, lieu bien connu à quiconque a remonté la Plata. Un matin de bonne heure, nous faisons l’ascension de la sierra de las Animas. Grâce au soleil levant, le paysage est presque pittoresque. À l’ouest, la vue s’étend sur une immense plaine jusqu’à la montagne de Montevideo, et à l’est, sur la région mamelonnée de Maldonado. Au sommet de la montagne se trouvent plusieurs petits amas de pierres qui évidemment sont là depuis fort longtemps. Mon compagnon m’assure que c’est l’œuvre des anciens Indiens. Ces amas ressemblent, mais sur une petite échelle, à ceux qu’on trouve si communément sur les montagnes du pays de Galles. Le désir de signaler un événement quel qu’il soit par un amas de pierres sur le point le plus élevé du voisinage semble être une passion inhérente à l’humanité. Aujourd’hui il n’existe plus un seul Indien sauvage ou civilisé dans au-

  1. Hearne, Journey, p. 383.