Aller au contenu

Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/68

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
52
MALDONADO.

fort volatile ; il m’est arrivé souvent, en effet, en passant sous le vent d’un troupeau de cerfs, à une distance d’un demi-mille, de sentir l’air tout empesté par l’odeur du mâle. Je crois que cette odeur est plus pénétrante à l’époque où les cornes du mâle sont parfaites, c’est-à-dire quand elles sont dépouillées de la peau poilue qui les recouvre pendant quelque temps. Quand le cerf émet cette odeur, il va sans dire qu’on ne peut en manger la chair ; mais les Gauchos affirment qu’on peut lui enlever tout mauvais goût en l’enterrant dans de la terre humide et en l’y laissant séjourner quelque temps. J’ai lu quelque part que les habitants des îles situées au nord de l’Écosse traitent de la même façon, avant de la manger, la chair si détestable des oiseaux qui se nourrissent de poisson.

L’ordre des Rongeurs comporte ici de nombreuses espèces ; je me procurai huit espèces de souris[1]. Le plus grand rongeur qui soit au monde, l’Hydrochærus capybara (le cochon d’eau), est fort commun dans ce pays. J’en tuai un, à Montevideo, qui pesait 98 livres ; de l’extrémité du museau à celle de la queue, il avait 3 pieds 2 pouces de longueur et il mesurait 3 pieds 8 pouces de tour. Ces grands rongeurs fréquentent quelquefois les îles à l’embouchure de la Plata, où l’eau est complètement salée ; mais ils sont bien plus abondants sur les bords des fleuves et des lacs d’eau douce. Auprès de Maldonado, ils vivent ordinairement trois ou quatre ensemble. Pendant la journée, ils restent couchés au milieu des plantes aquatiques ou vont tranquillement brouter le gazon de la plaine[2]. Vus à une certaine distance, leur démarche et leur couleur les font ressembler à des cochons ; mais quand ils

  1. Je trouvai en somme vingt-sept espèces de souris dans l’Amérique du Sud, où on en connaît treize autres, d’après les ouvrages d’Azara et d’autres auteurs. M. Waterhouse a décrit et nommé, dans les réunions de la Société zoologique, les espèces que j’ai rapportées. Je saisis cette occasion pour offrir tous mes remercîments à M. Waterhouse et aux autres savants membres de cette société pour le concours bienveillant qu’ils ont bien voulu me prêter dans toutes les occasions.
  2. Je trouvai dans l’estomac et dans le duodénum d’un capybara que j’ouvris une très-grande quantité d’un liquide jaunâtre, dans lequel on pouvait à peine distinguer une seule fibre. M. Owen m’apprend qu’une partie de leur œsophage est construite de telle sorte, que rien de plus gros qu’une plume de corbeau ne pourrait y passer. Les larges dents, les fortes mâchoires de cet animal sont certainement fort propres à réduire en bouillie les plantes aquatiques dont il se nourrit.