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LE TUCUTUCO.

sont assis, surveillant attentivement tout ce qui se passe, ils reprennent l’aspect de leurs congénères, les cobayes et les lapins. La grande longueur de leur mâchoire leur donne une apparence comique quand on les voit de face ou de profil. À Maldonado, ces animaux sont presque apprivoisés ; en marchant avec précaution, je pus m’approcher à une distance de 3 mètres de quatre d’entre eux. On peut expliquer cette quasi-domesticité par le fait que le jaguar a complètement disparu de ce pays depuis plusieurs années et que le Gaucho ne pense pas que ce soit là un animal digne d’être chassé. À mesure que j’approchais des quatre individus dont je viens de parler, ils faisaient entendre le bruit qui leur est particulier, une espèce de grognement sourd et abrupt ; on ne peut dire que ce soit un son, c’est plutôt une expulsion soudaine de l’air qu’ils ont dans les poumons ; je ne connais qu’un seul bruit qui soit analogue à ce grognement, c’est le premier aboiement enroué d’un gros chien. Après nous être considérés mutuellement pendant quelques minutes, car ils m’examinaient avec autant d’attention que je pouvais les examiner, ils s’élancèrent tous quatre dans l’eau avec la plus grande impétuosité, tout en faisant entendre leur grognement. Après avoir plongé pendant quelque temps, ils revinrent à la surface, mais ils ne me montrèrent que la partie supérieure de leur tête. Quand la femelle nage, on dit que ses jeunes s’asseyent sur son dos. On pourrait facilement tuer un grand nombre de ces animaux, mais leur peau n’a que peu de valeur, et leur chair n’est pas très-bonne. Ils abondent dans les îles du rio Parana et servent de proie ordinaire au jaguar.

Le tucutuco (Ctenomys brasiliensis) est un curieux petit animal qu’on peut décrire en un mot : un rongeur ayant les habitudes de la taupe. Extrêmement nombreux dans quelques parties du pays, il n’en est pas moins difficile de se le procurer, car il ne sort jamais, je crois, hors de terre. Il rejette à l’extrémité de son trou un petit amas de terre, tout comme le fait la taupe ; seulement cet amas est plus petit. Ces animaux minent si complètement des espaces considérables, que les chevaux, en passant sur leurs galeries, s’enfoncent souvent jusqu’au boulet. Les tucutucos semblent, dans une certaine mesure, vivre en société ; l’homme qui me procura mes spécimens en avait pris six d’un seul coup, et il me dit que c’était chose assez commune que de les prendre plusieurs ensemble. Ils ne bougent que pendant la nuit ; ils se nourrissent principalement des racines des plantes, et, pour les trouver, ils creusent d’immenses