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MALDONADO.

galeries. On reconnaît partout cet animal, grâce à un bruit tout particulier qu’il fait sous le sol. Une personne qui entend ce bruit pour la première fois reste fort surprise ; car il n’est pas facile de dire d’où il vient, et il est impossible de supposer quelle est la créature qui le fait entendre. Ce bruit consiste en un grognement nasal court, mais pas trop bruyant, répété rapidement quatre fois sur le même ton[1] ; on a donné à cet animal le nom de tucu-tuco pour imiter le son qu’il fait entendre. Partout où cet animal abonde, on peut l’entendre à tous les instants du jour, et souvent exactement au-dessous de l’endroit où l’on se trouve. Dans une chambre, les tucutucos ne se meuvent que lentement et lourdement ; ce qui paraît provenir de l’action de leurs pattes de derrière ; il leur est impossible, l’articulation de la cuisse ne possédant pas un certain ligament, de sauter à la plus petite hauteur verticale. Ils ne cherchent pas à s’échapper ; quand ils sont en colère, ou qu’ils sont effrayés, ils font entendre le tucu-tuco. J’en conservai plusieurs vivants, et la plupart, dès le premier jour, s’apprivoisèrent parfaitement, ne cherchant ni à se sauver ni à mordre ; d’autres restèrent un peu plus longtemps sauvages.

L’homme qui me les avait procurés m’affirma qu’on en trouve un grand nombre aveugles. Un spécimen que j’ai conservé dans l’esprit de vin était en cet état ; M. Reed considère que leur cécité provient d’une inflammation de la membrane nictitante. Alors que l’animal était vivant, je plaçai mon doigt à un demi-pouce de sa tête, et il ne le vit pas ; cependant il se dirigeait dans la chambre presque aussi bien que les autres. Étant données les habitudes strictement souterraines du tucutuco, la cécité, bien que si commune, ne peut être un désavantage sérieux pour lui ; toutefois il paraît étrange qu’un animal quel qu’il soit possède un organe sujet à être si fréquemment altéré. Lamarck eût été heureux de ce fait, s’il l’avait connu quand il discutait[2] (avec plus de vérité probablement qu’on n’en trouve ordinairement chez lui)

  1. Sur les bords du rio Negro, dans la Patagonie septentrionale, il y a un animal ayant les mêmes habitudes. C’est probablement une espèce alliée, mais je ne l’ai jamais vue. Le bruit que fait cet animal diffère de celui de l’espèce de Maldonado ; il ne répète son appel que deux fois au lieu de trois ou quatre, et il est plus distinct et plus sonore. Quand on l’entend à une certaine distance, il ressemble si parfaitement au bruit qu’on ferait en coupant un petit arbre avec une hache, que quelquefois je me suis pris à douter si ce n’était pas là le bruit que j’entendais.
  2. Philosoph. zoolog., vol. I, p. 242.