Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/84

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
68
LACS SALÉS.

rent pour ne plus se relever. Ce seul coup suffit pour mettre toute la bande en déroute.

La ville s’appelle indifféremment El Carmen ou Patagones. Elle est adossée à une falaise qui borde le fleuve ; on a même creusé un certain nombre d’habitations dans le grès qui forme le flanc de la colline. Le fleuve, profond et rapide, a, en cet endroit, environ 200 ou 300 mètres de largeur. Les nombreuses îles couvertes de saules, les nombreuses collines que l’on voit s’élever les unes derrière les autres, et qui forment la limite septentrionale de cette large vallée verte, présentent, éclairées par un beau soleil, un tableau presque pittoresque. Il n’y a guère là que quelques centaines d’habitants. Ces colonies espagnoles, en effet, ne portent pas en elles-mêmes, comme nos colonies anglaises, les éléments d’un développement rapide. Beaucoup d’Indiens de race pure résident dans les environs ; la tribu du cacique Lucanee a construit ses toldos[1] dans les faubourgs mêmes de la ville. Le gouvernement local leur fournit des provisions en leur donnant tous les chevaux trop vieux pour pouvoir rendre aucun service ; ces Indiens gagnent, en outre, quelques centimes en fabriquant des nattes et des articles de sellerie. On les considère comme civilisés ; mais, ce qu’ils ont pu perdre en férocité, ils l’ont regagné, et au delà, en immoralité. Quelques jeunes gens s’améliorent, dit-on, un peu ; ils consentent à travailler, et, il y a quelque temps, quelques-uns s’engagèrent à bord d’un navire pour aller pêcher des phoques ; ils se conduisirent très-bien. Ils jouissent actuellement des fruits de leur travail, ce qui consiste pour eux à revêtir des habits, fort propres d’ailleurs, mais aux couleurs les plus voyantes, et à ne faire absolument rien de la journée. Ils ont un goût exquis en matière de costume ; si on avait pu transformer un de ces jeunes Indiens en statue de bronze, elle eût été parfaite au point de vue de la draperie.

J’allai visiter un grand lac salé, ou saline, situé à environ 15 milles de la ville. Pendant l’hiver, c’est un lac fort peu profond, plein d’eau saumâtre, qui se transforme en été en un champ de sel aussi blanc que la neige. La couche, près du bord, a de 4 à 5 pouces d’épaisseur, mais cette épaisseur augmente vers le centre. Ce lac a 2 milles et demi de longueur sur 1 mille de largeur. Il s’en trouve dans le voisinage quelques autres beaucoup plus grands encore, dont le fond consiste en une couche de sel ayant 2 ou

  1. Nom que l’on donne toujours aux huttes indiennes.