Aller au contenu

Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/87

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
71
DU RIO NEGRO AU RIO COLORADO.

Buenos Ayres, les Espagnols ne possèdent qu’un petit établissement récemment fondé à Bahia Blanca. En droite ligne, il y a près de 500 milles anglais (800 kilomètres) du rio Negro à Buenos Ayres. Les tribus errantes d’Indiens se servant du cheval, qui ont toujours occupé la plus grande partie de ce pays, ayant dernièrement attaqué à chaque instant les estancias isolées, le gouvernement de Buenos Ayres a équipé, il y a quelque temps, pour les exterminer, une armée sous le commandement du général Rosas.

Les troupes étaient alors campées sur les bords du Colorado, fleuve qui coule à environ 80 milles au nord du rio Negro. En quittant Buenos Ayres, le général Rosas s’avança en droite ligne au milieu des plaines non encore explorées ; après en avoir ainsi chassé les Indiens, il laissa derrière lui, à de grands intervalles, de petits détachements avec des chevaux (a posta) pour assurer ses communications avec la capitale. Le Beagle devait faire escale à Bahia Blanca ; je résolus donc de m’y rendre par terre, et, plus tard, je me décidai à me servir des postas pour aller de la même façon jusqu’à Buenos Ayres.

11 août. — J’ai pour compagnons de route M. Harris, un Anglais résidant à Patagones, un guide et cinq Gauchos qui se rendent à l’armée pour affaires. Le Colorado, comme je l’ai déjà dit, est tout au plus à 80 milles de distance ; mais nous voyageons fort lentement et nous sommes près de deux jours et demi en route. Le pays entier ne mérite guère que le nom de désert ; on ne trouve d’eau que dans deux petits puits ; on l’appelle de l’eau douce, mais, même à cette époque de l’année, en pleine saison des pluies, elle est tout à fait saumâtre. Le voyage doit être terrible en été ; il était déjà bien assez pénible quand je l’ai fait en hiver. La vallée du rio Negro, quelque large qu’elle soit, est une simple excavation de la plaine de grès, car, immédiatement au-dessus de la vallée, où se trouve la ville, commence une plaine qui n’est coupée que par quelques dépressions et quelques vallées insignifiantes. Partout le paysage offre le même aspect stérile ; un sol sec, pierreux, supporte à peine quelques touffes d’herbe flétrie et çà et là quelques buissons épineux.

Quelques heures après avoir passé près du premier puits, nous apercevons un arbre fameux que les Indiens révèrent comme l’autel de Walleechu. Cet arbre s’élève sur une hauteur au milieu de la plaine ; aussi le voit-on à une grande distance. Dès que les Indiens l’aperçoivent, ils expriment leur adoration par de grands cris.