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Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/88

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ARBRE SACRÉ.

L’arbre lui-même est peu élevé ; il a de nombreuses branches et est couvert d’épines ; le tronc, juste au-dessus du sol, a un diamètre d’environ 3 pieds. Il est isolé, c’est même le premier arbre que nous ayons vu depuis longtemps. Plus tard, nous en avons rencontré quelques autres de la même espèce ; mais ils sont fort rares. Nous sommes en hiver, l’arbre n’a donc pas de feuilles ; mais, à leur place, pendent des fils innombrables auxquels sont suspendues les offrandes, consistant en cigares, en pain, en viande, en morceaux d’étoffe, etc. Les Indiens pauvres, qui n’ont rien de mieux à offrir, se contentent de tirer un fil de leur poncho et l’attachent à l’arbre. Les plus riches ont l’habitude de verser de l’esprit de grains et du maté dans un certain trou, puis ils se placent sous l’arbre et se mettent à fumer en ayant soin d’envoyer la fumée en l’air, pensant, en ce faisant, procurer la plus douce satisfaction à Walleechu. Pour compléter la scène, tout autour de l’arbre, les ossements blanchis des chevaux sacrifiés en l’honneur du dieu. Tous les Indiens, quels que soient leur âge et leur sexe, font au moins une offrande ; ils sont alors persuadés que leurs chevaux deviendront infatigables et que leur bonheur sera parfait. Le Gaucho qui me racontait tout cela ajoutait que, en temps de paix, il avait souvent assisté à cette scène, et que lui et ses compagnons avaient coutume d’attendre que les Indiens se fussent éloignés pour aller soustraire les offrandes faites à Walleechu.

Les Gauchos pensent que les Indiens regardent l’arbre comme le dieu lui-même, mais il me semble beaucoup plus probable qu’ils ne le regardent que comme l’autel du dieu. Quoi qu’il en soit, la seule raison qui me semble expliquer le choix d’une divinité aussi singulière est que cet arbre sert d’indication à un passage fort dangereux. On aperçoit la sierra de la Ventana à une immense distance. Un Gaucho me raconta que, voyageant un jour avec un Indien à quelques milles au nord du rio Colorado, son compagnon se mit à faire le bruit que font tous ses compatriotes dès qu’ils aperçoivent le fameux arbre ; puis il porta la main à sa tête et indiqua la sierra éloignée. Le Gaucho lui demanda la raison de tous ces gestes et l’Indien lui répondit dans son mauvais espagnol : « Première vue de la sierra. » À environ 2 lieues de ce curieux arbre, nous faisons halte pour la nuit. À cet instant, les Gauchos aperçoivent une malheureuse vache : sauter en selle et commencer la chasse est l’affaire d’un instant ; quelques minutes après, ils la traînent jusqu’à notre campement et la tuent. Nous