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AGOUTIS.

possédons donc les quatre choses nécessaires à la vie « en el campo » : des pâturages pour les chevaux, de l’eau (en bien petite quantité, il est vrai, et bien boueuse), de la viande et du bois pour faire du feu. Les Gauchos ne se possèdent pas de joie à la vue de tant de luxe, et nous dépeçons bientôt la pauvre vache. C’est la première nuit que je passe en plein air avec ma selle pour oreiller. La vie indépendante du Gaucho offre, sans contredit, un grand charme ; n’est-ce donc rien que de pouvoir arrêter son cheval quand bon vous semble et de dire : « Nous allons passer la nuit ici »? Le silence de mort qui règne sur la plaine, les chiens montant la garde, les Gauchos faisant leurs dispositions pour la nuit autour du feu, tout, dans cette première nuit, a laissé dans mon esprit une impression qui ne s’effacera jamais.

Le pays que nous parcourons le lendemain est de tout point semblable à celui que nous avons traversé la veille. Fort peu d’oiseaux, fort peu d’animaux l’habitent. De temps en temps, on aperçoit un cerf ou un guanaco (Llama sauvage) ; mais l’agouti (Cavia patagonica) est le plus commun de tous les quadrupèdes. Cet animal ressemble à notre lièvre, bien qu’il diffère de ce genre sous beaucoup de rapports essentiels ; il n’a, par exemple, que trois doigts aux pattes de derrière. Il atteint aussi près de deux fois la grosseur du lièvre, car il pèse de 20 à 25 livres. L’agouti est le véritable ami du désert ; il nous arrive à chaque instant de voir deux ou trois de ces animaux sautillant l’un après l’autre à travers ces plaines sauvages. Ils s’étendent au nord jusqu’à la sierra Tapalguen (latitude, 37°30′), point où la plaine devient tout à coup plus humide et plus verte ; la limite méridionale de leur habitat se trouve entre le Port-Desire et le port Saint-Julian, bien que la nature du pays ne change en aucune façon. Il est à remarquer que, bien que l’on ne rencontre plus l’agouti aussi loin au sud que le port Saint-Julian, le capitaine Wood en a vu en cet endroit des quantités considérables pendant son voyage en 1670. Quelle cause a pu modifier dans un pays sauvage, inhabité, aussi rarement visité que l’est celui-là, l’habitat de cet animal ? Il semble aussi, si l’on se base sur le nombre d’agoutis que le capitaine Wood a tués en un seul jour à Port-Desire, que ces animaux y étaient alors beaucoup plus nombreux qu’à présent. Partout où habite la Viscache, cet animal creuse des terriers, et l’agouti s’en sert ; mais aux endroits où, comme à Bahia Blanca, la Viscache ne se trouve pas, l’agouti fouille lui-même. Le même fait se reproduit pour le petit hibou des