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ATTAQUE PAR LES INDIENS.

plaine de gazon vert qui s’étend sur les bords d’un petit ruisseau, nous entrons bientôt dans une vaste plaine, où nous ne trouvons plus que sables, marais salins ou boue. Quelques buissons rabougris poussent çà et là ; en d’autres endroits, le sol est couvert de ces plantes vigoureuses qui n’atteignent tout leur développement que là où le sel abonde. Quelque aride que soit le pays, nous voyons quantité d’autruches, de cerfs, d’agoutis et de tatous. Mon guide me raconte que, deux mois auparavant, il avait été sur le point d’être tué. Il chassait avec deux autres personnes à peu de distance de l’endroit où nous nous trouvons, quand tout à coup ils se trouvèrent en face d’une troupe d’Indiens qui se mirent à leur poursuite et qui atteignirent bientôt ses deux compagnons et les tuèrent. Les bolas des Indiens vinrent aussi entourer les jambes de son cheval, mais il sauta immédiatement à terre et, à l’aide de son couteau, parvint à couper les courroies qui le tenaient enchaîné ; tout en le faisant, il était obligé de tourner autour de sa monture pour éviter les chuzos des Indiens, et malgré toute son agilité, il reçut deux graves blessures. Enfin il parvint à sauter en selle et à éviter, à force d’énergie, les longues lances des sauvages, qui le suivaient de près, et qui ne cessèrent la poursuite que quand il fut arrivé en vue du fort. Depuis ce jour, le commandant défendit à qui que ce soit de sortir de la ville. Je ne savais pas tout cela quand je me mis en route, et ce ne fut pas, je l’avoue, sans une certaine inquiétude que je vis mon guide observer avec la plus profonde attention un cerf qui, à l’autre bout de la plaine, paraissait avoir été effrayé par quelqu’un.

Le Beagle n’était pas arrivé ; nous nous mîmes donc en route pour revenir ; mais nos chevaux étaient fatigués, et nous fûmes obligés de bivouaquer sur la plaine. Le matin, nous avions tué un tatou ; bien que ce soit un mets excellent quand on le fait rôtir dans sa carapace, cela ne constitue pas deux repas substantiels, déjeuner et dîner, pour deux hommes affamés. À l’endroit où nous avions dû nous arrêter pour y passer la nuit, le sol était recouvert d’une couche de sulfate de soude ; il n’y avait donc pas d’eau. Cependant un grand nombre de petits rongeurs parvenaient à y trouver leur subsistance, et j’entendis, pendant la moitié de la nuit, le tucutuco faire son appel habituel juste au-dessous de ma tête. Nous avions de fort mauvais chevaux ; ils étaient si épuisés le lendemain de n’avoir rien eu à boire, que nous fûmes obligés de mettre pied à terre et de continuer la route à pied. Vers midi, nos