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BAHIA BLANCA

chiens tuèrent un chevreau, que nous fîmes rôtir. Je mangeai un peu, mais je ressentis de suite une soif intolérable. Je souffrais d’autant plus que, grâce à des pluies récentes, nous rencontrions à chaque instant de petites flaques d’eau parfaitement limpide, mais dont il était impossible de boire une seule goutte. Depuis vingt heures à peine j’étais privé d’eau, et je n’avais été exposé que fort peu de temps au soleil ; j’éprouvais cependant une grande faiblesse. Comment peut-on survivre deux ou trois jours dans les mêmes circonstances ? C’est ce que je ne peux m’imaginer. Toutefois je dois avouer que mon guide ne souffrait pas du tout et semblait fort étonné qu’un jour de privation produisît un tel effet sur moi.

J’ai plusieurs fois déjà fait allusion aux incrustations de sel qui se trouvent à la surface du sol. Ce phénomène, tout différent de celui des salines, est fort extraordinaire. On trouve ces incrustations dans bien des parties de l’Amérique du Sud, partout où le climat est modérément sec ; mais je n’en ai jamais vu autant que dans les environs de Bahia Blanca. Ici, ainsi que dans d’autres parties de la Patagonie, le sel consiste principalement en un mélange de sulfate de soude avec un peu de sel commun. Aussi longtemps que le sol de ces salitrales (comme les Espagnols les appellent improprement, car ils ont pris cette substance pour du salpêtre) reste suffisamment humide, on ne voit rien qu’une plaine dont le sol est noir et boueux ; çà et là quelques touffes de plantes vigoureuses. Si on revient dans une de ces plaines après quelques jours de chaleur, on est tout surpris de la trouver toute blanche, comme s’il était tombé de la neige, que le vent aurait accumulée par places en petits tas. Ce dernier effet provient de ce que, pendant la lente évaporation, les sels remontent le long des touffes d’herbe morte, des morceaux de bois et des mottes de terre, au lieu de cristalliser au fond des flaques d’eau. Les salitrales se trouvent sur les plaines, élevées de quelques pieds seulement au-dessus du niveau de la mer, ou sur les terres d’alluvions qui bordent les fleuves. M. Parchappe[1] a trouvé que les incrustations salines dans les plaines, situées à une distance de quelques milles de la mer, consistent principalement en sulfate de soude ne contenant que 7 pour 100 de sel commun ; tandis que plus près de la côte le sel commun entre dans la proportion de 37 pour 100. Cette circon-

  1. Voyage dans l’Amérique méridionale, par M. A. d’Orbigny, part. hist., vol. I, p. 664.