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LES ROIS EN EXIL

avec précaution les pages lourdes entre lesquelles apparaissaient les plantes, de la corolle aux racines étalées, aplaties, leurs nuances perdues sur les bords. Il poussait un cri de joie, d’admiration, quand le spécimen était intact, bien conservé, le considérait longtemps, la lèvre humide, lisant à haute voix son nom latin, sa notice écrite au bas dans un petit cartouche. D’autres fois une exclamation de colère lui échappait, en voyant la fleur attaquée, perforée par ce ver imperceptible, bien connu des herborisateurs, atome né de la poussière des plantes et vivant d’elle, qui est le danger, souvent la perte des collections. La tige se tenait encore, mais dès qu’on remuait la page, tout tombait, s’envolait, fleurs, racines, en un mince tourbillon.

— C’est le ver… c’est le ver… disait Boscovich, la loupe sur l’œil ; et il montrait d’un air à la fois désolé et fier une perforation semblable à celle du taret dans le bois, indiquant le passage du monstre. Élisée ne pouvait garder aucun soupçon. Ce maniaque était incapable d’une infamie, mais aussi de la moindre résistance. Au premier mot des décorations, il se mit à trembler, regardant de côté par-dessus sa loupe, craintif et méfiant… Que venait-on lui dire là ? Sans doute le roi, ces derniers temps, lui avait fait préparer une quantité de brevets de tous grades, avec le nom en blanc ;