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LES ROIS EN EXIL

Et lui ripostant, leur éternelle discussion recommença. La reine n’aimait pas, ne comprenait pas le peuple, en avait une sorte d’horreur physique. Elle le trouvait brutal, effrayant dans ses joies comme dans ses revanches. Même aux fêtes du sacre, pendant la lune de miel de son règne, elle avait eu peur de lui, de ses mille mains tendues pour l’acclamer et dont elle se sentait prisonnière. Jamais ils n’avaient pu s’entendre ; grâces, faveurs, aumônes étaient tombées d’elle vers lui, comme ces moissons maudites qui ne peuvent germer, sans qu’il soit permis d’accuser positivement la dureté de la terre ou la stérilité des semences.

Il y avait, parmi les contes bleus dont madame de Silvis vaporisait l’esprit du petit prince, l’histoire d’une jeune demoiselle de Syrie mariée à un lion et qui éprouvait de son fauve mari une crainte horrible, de ses rugissements, de ses façons violentes de secouer sa crinière. Il était pourtant plein d’attentions, de délicatesses amoureuses, ce pauvre lion ; il rapportait à sa femme-enfant des gibiers rares, des rayons de miel, veillait pendant qu’elle dormait, imposait silence à la mer, aux forêts, aux animaux. N’importe ! Elle gardait sa répulsion, sa peur offensante, jusqu’au jour où le lion se fâchait, lui rugissait un terrible « va-t-en ! » la gueule ouverte et la crinière flam-