Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/212

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boyante, comme s’il avait eu autant d’envie de la dévorer que de lui rendre la clef des champs. C’était un peu l’histoire de Frédérique et de son peuple ; et depuis qu’Élisée vivait à ses côtés, il essayait en vain de lui faire admettre la bonté cachée, le dévouement chevaleresque, les susceptibilités farouches de ce grand lion qui rugit tant de fois pour plaisanter avant d’entrer dans ses fortes colères. Ah ! si les rois avaient voulu… S’ils s’étaient montrés moins méfiants… Et comme Frédérique agitait son ombrelle d’un air incrédule :

— Oui, je le sais bien… le peuple vous fait peur.. Vous ne l’aimez pas, ou plutôt vous ne le connaissez pas… Mais que Votre Majesté regarde autour d’elle, dans ces allées, sous ces arbres… C’est pourtant le plus terrible faubourg de Paris qui se promène et s’amuse ici, celui d’où les révolutions descendent à travers les rues dépavées… Comme tous ces gens ont l’air simple et bon, naturel et naïf !… Comme ils savourent le bien-être d’un jour de repos, d’une saison de soleil…

De la grande allée où le landau passait au pas, on voyait en effet, sous les fourrés encore grêles et tout violets des premières jacinthes sauvages, des déjeuners installés par terre, les assiettes blanches faisant tache, les paniers couvercle béant, et les verres épais des comptoirs de marchands de vin enfouis dans la ver-