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LES ROIS EN EXIL

peut-être voudrait-il plus tard retourner en Illyrie, l’abandonner pour le trône et le pouvoir ; elle ne serait pas la première que les terribles raisons d’État auraient fait trembler et pleurer. Et d’Axel, Wattelet, tous les gommeux du Grand-Club, ne se doutaient guère, quand le roi, sortant de l’avenue de Messine, venait les rejoindre au cercle, les yeux battus et fiévreux, qu’il avait passé la soirée sur un divan, toujours repoussé et repris, vibrant et tendu comme un arc, se roulant aux pieds d’une volonté implacable, d’une souple résistance qui laissait à ses étreintes folles la glace de deux petites mains de Parisienne habiles à se dégager, à se défendre, et sur ses lèvres la brûlure d’une parole délirante : « Oh ! quand tu ne seras plus roi… À toi, toute, toute !… » Car elle le faisait passer par les intermittences si dangereuses de la passion et de la froideur ; et parfois au théâtre, après un abord glacé, à l’immobile sourire, elle avait une certaine façon lente de quitter ses gants en le regardant. Elle ne se dégantait pas, elle mettait sa main toute nue, en première offrande à ses baisers…

… — Alors, mon pauvre Lebeau, tu dis que ce Pichery ne veut rien faire…

— Rien, Sire… Si l’on ne paye pas, les traites iront chez l’huissier.

Il fallait entendre le geignement désespéré