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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/39

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LES ROIS EN EXIL

écolière. Les étalages de libraires, les crémeries, les rôtisseries, les marchands fripiers, « achat et vente d’or et d’argent », y alternent jusqu’à la colline Sainte-Geneviève, et les étudiants l’arpentent à toute heure du jour, non plus les étudiants de Gavarni aux longs cheveux s’échappant d’un béret de laine, mais de futurs avoués, serrés du haut en bas de leurs ulsters, soignés et gantés, avec d’énormes serviettes en maroquin sous le bras, et déjà des airs futés et froids d’agents d’affaires ; ou bien les médecins de l’avenir, un peu plus libres d’allures, gardant du côté matériel, humain, de leurs études, une expansion de vie physique, comme la revanche de leur perpétuelle préoccupation de la mort.

À cette heure matinale, des filles en peignoir et en pantoufles, les yeux bouffis de veilles, les cheveux déroulés dans un filet ballant, traversaient la rue pour chercher le lait de leur déjeuner chez la crémière, les unes riant et galopant sous le grésil, les autres très dignes au contraire, balançant leur boîte en fer-blanc, et traînant leurs savates, leurs nippes fanées, avec la majestueuse indifférence de reines de féerie ; et comme en dépit des ulsters et des serviettes en maroquin les cœurs de vingt ans ont toujours leur âge, les étudiants souriaient aux belles. « Tiens, Léa. — Bonjour, Clémence ». On s’appelait d’un trottoir à l’autre,