Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/78

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de s’étonner de ce bien-être, ils sentaient au contraire tout ce qui manquait à leur existence nouvelle, sans parler du vide refroidissant que laisse autour des fronts une couronne tombée. La maison de Saint-Mandé, si simple au dehors, avait beau s’orner en petit palais à l’intérieur, la chambre de la reine rappelant exactement par ses lampas bleus couverts de vieux bruges celle du château de Leybach, le cabinet du prince identique à celui qu’il quittait, dans l’escalier les reproductions des statues de la résidence royale, et dans la serre une singerie tiède, garnie de glycines grimpantes pour les ouistitis favoris : qu’était-ce que tous ces petits détails de délicate flatterie, aux possesseurs de quatre châteaux historiques et de ces résidences d’été entre le ciel et l’eau, les pelouses mourant sous les vagues, dans les îles vertes qu’on appelle « les jardins de l’Adriatique ! »

À Saint-Mandé, l’Adriatique c’était le petit lac du bois, que la reine avait en face de ses fenêtres et qu’elle regardait tristement comme Andromaque exilée regardait son faux Simoïs. Si restreinte pourtant que fût leur vie, il arrivait à Christian, plus expérimenté que Frédérique, de s’étonner de cette aisance relative :

— Ce Rosen est incroyable… Je ne sais vraiment comment il s’arrange pour suffire à tout avec le peu que nous avons.

Puis il ajoutait en riant :