Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/8

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ce long balcon de l’Hôtel des Pyramides qui aligne ses quinze fenêtres voilées de coutil rose au plus bel endroit de la rue de Rivoli, elle resta émerveillée. En bas, sur la large voie, mêlant le bruit des roues à la pluie légère des arrosages, une file ininterrompue de voitures descendait vers le Bois avec un papillotement d’essieux, de harnais, de toilettes claires envolées dans un vent de vitesse. Puis, de la foule pressée à la grille dorée des Tuileries, les yeux charmés de la reine allaient vers cette confusion lumineuse de robes blanches, de cheveux blonds, de soies voyantes, de jeux aériens, vers tout ce train d’endimanchement et d’enfance que le grand jardin parisien répand autour de ses terrasses, les jours de soleil, et se reposaient enfin délicieusement sur le dôme de verdure, l’immense toit de feuilles arrondi et plein que faisaient de là-haut les marronniers du centre abritant à cette heure un orchestre militaire, et tout frémissants de cris d’enfants, d’éclats de cuivre. L’âpre rancœur de l’exilée se calmait peu à peu à tant d’allégresse répandue. Un bien-être de chaleur l’enveloppait de partout, collant et souple comme un réseau de soie ; ses joues fanées par les veilles, les privations, s’animaient d’une rose vie. Elle pensait : « Dieu ! qu’on est bien.»

Les plus grandes infortunes ont de ces subits et inconscients réconforts. Et ce n’est pas des