Page:Daudet - À propos de Georges Bernanos - Le succès littéraire, paru dans L'Action française, 26-04-1926.djvu/8

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dame Bovary elle-même, qui est une variante de Don Quichotte [disproportion entre l’action et le rêve], était, morphologiquement, dérivée de Balzac. J’excepte, bien entendu, Barbey, merveilleux fanal, fort méconnu, dressé sur les côtes des lettres françaises, pour les éclairer et épargner aux navigateurs les écueils du matérialisme vide et plat.

Avec Bernanos, c’est une autre affaire.

L’inspiration est différente. L’aventure romanesque est commandée par un principe qui n’est plus sentimental, ni sensuel, qui est même au-dessus de l’organique et qui franchit l’intellectuel. L’auteur, comme disait mon père, « vise haut ». Il vise, et il met dans la cible. Cela, Souday ne peut pas le voir, parce que Souday, par définition, est borné et parce qu’un parti pris rabougri lui donne l’illusion du bon sens.

Il n’est pas de plus grande joie, pour un critique, que l’apparition d’un nouvel écrivain, digne de ce nom. D’abord parce que c’est un bouquet sur la cheminée de la Patrie, un bouquet de fleurs de notre langage. Ensuite parce que le don porté au point où il brille chez Bernanos, suscite immanquablement des émules. La véritable richesse, c’est l’esprit, et l’esprit à tous ses niveaux. Le franc peut baisser ; si l’esprit monte, c’est le signe que tout se relèvera, se restaurera.

Léon DAUDET.