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Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/262

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« Puisque je te dis que j’ai tout bu ! » criait-il. Sans répondre, elle s’accrochait à lui de toute son indignation, de tous ses nerfs, le secouait, le fouillait, retournait ses poches. Au bout d’un moment, j’entendais l’argent qui roulait par terre, la femme se jetant dessus avec un rire de triomphe.

« Ah ! tu vois bien ! »

Puis un juron, des coups sourds… C’est l’ivrogne qui se vengeait. Une fois en train de battre, il ne s’arrêtait plus. Tout ce qu’il y a de mauvais, de destructeur dans ces affreux vins de barrière, lui montait au cerveau et voulait sortir. La femme hurlait, les derniers meubles du bouge volaient en éclats, les enfants réveillés en sursaut pleuraient de peur. Dans le passage, les fenêtres s’ouvraient. On disait :

« C’est Arthur ! C’est Arthur !… »

Quelquefois aussi le beau-père, un vieux chiffonnier qui logeait dans le garni voisin, venait au secours de sa fille ; mais Arthur s’enfermait à clef pour ne pas être dérangé dans son opération. Alors, à travers la serrure, un dialogue effrayant s’engageait entre le beau-père et le gendre, et nous en apprenions de belles.

« T’en as donc pas assez de tes deux ans de prison, bandit ? » criait le vieux. Et l’ivrogne, d’un ton superbe :