Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/277

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Cela me rappelle une lecture que j’ai faite en mer, il y a quelques années, un jour de très gros temps. Sous le rouffe inondé d’eau où je m’étais blotti, j’avais trouvé une grammaire anglaise, et là, dans le train des vagues et des mâts arrachés, pour ne pas penser au danger, pour ne pas voir ces paquets d’eau verdâtre qui croulaient sur le pont en s’étalant, je m’absorbais de toutes mes forces dans l’étude du th anglais ; mais j’avais beau lire à haute voix, répéter et crier les mots, rien ne pouvait entrer dans ma tête pleine des huées de la mer et des sifflements aigus de la bise en haut des vergues.

Le journal que je tiens en ce moment me paraît aussi incompréhensible que ma grammaire anglaise. Pourtant à force de fixer cette grande feuille dépliée devant moi, je vois s’y dérouler, entre les lignes courtes et serrées, les articles de demain, et mon pauvre nom se débattre dans des buissons d’épines et des flots d’encre amère… Tout à coup le gaz baisse, on ferme le café.

Déjà ?

Quelle heure est-il donc ?

… Les boulevards sont pleins de monde. On sort des théâtres. Je me croise sans doute avec des gens qui ont vu ma pièce. Je voudrais demander, savoir, et en même temps je passe vite pour ne pas entendre les réflexions à