Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/295

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apartés dans tous les coins, des promenades sans fin à travers les allées, des calculs faits à haute voix. Une fois j’entendis une des filles qui criait :

« La baraque ne vaut pas cent sous… elle est bonne à jeter à bas. »

Le vieux écoutait sans rien dire. On parlait de lui comme s’il était mort, de sa maison comme si elle était déjà abattue. Il allait, tout voûté, des larmes dans les yeux, cherchant par habitude une branche à émonder, un fruit à soigner en passant ; et l’on sentait sa vie si bien enracinée dans ce petit coin de terre qu’il n’aurait jamais la force de s’en arracher. En effet, quoi qu’on pût lui dire, il reculait toujours le moment du départ. En été, quand mûrissaient ces fruits un peu acides qui sentent la verdeur de l’année, les cerises, les groseilles, les cassis, il se disait :

« Attendons la récolte… Je vendrai tout de suite après. »

Mais la récolte faite, les cerises passées, venait le tour des pêches, puis les raisins, et après les raisins ces belles nèfles brunes qu’on cueille presque sous la neige. Alors l’hiver arrivait. La campagne était noire, le jardin vide. Plus de passants, plus d’acheteurs. Plus même de boutiquiers le dimanche. Trois grands mois de repos pour préparer les semences,