Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/296

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tailler les arbres fruitiers, pendant que l’écriteau inutile se balançait sur la route, retourné par la pluie et le vent.

À la longue, impatients et persuadés que le vieux faisait tout pour éloigner les acheteurs, les enfants prirent un grand parti. Une des brus vint s’installer près de lui, une petite femme de boutique, parée dès le matin, et qui avait bien cet air avenant, faussement doux, cette amabilité obséquieuse des gens habitués au commerce. La route semblait lui appartenir. Elle ouvrait la porte toute grande, causait fort, souriait aux passants comme pour dire :

« Entrez… Voyez… la maison est à vendre ! »

Plus de répit pour le pauvre vieux. Quelquefois, essayant d’oublier qu’elle était là, il bêchait ses carrés, les ensemençait à nouveau, comme ces gens tout près de la mort qui aiment à faire des projets pour tromper leurs craintes. Tout le temps, la boutiquière le suivait, le tourmentait :

« Bah ! à quoi bon ?… c’est donc pour les autres que vous prenez tant de peine ? »

Il ne lui répondait pas, et s’acharnait à son travail avec un entêtement singulier. Laisser son jardin à l’abandon, c’eût été le perdre un peu déjà, commencer à s’en détacher. Aussi les allées n’avaient pas un brin d’herbe ; pas de gourmands aux rosiers.