Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/311

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fatigue, cette chaleur lourde qui montait de l’eau étoilée de larges fleurs jaunes, le vieux loup de mer se mettait à saigner du nez pendant des heures. Jamais mes voyages n’avaient un autre dénouement. Mais que voulez-vous ? Je trouvais cela délicieux.

Le terrible, par exemple, c’était le retour, la rentrée. J’avais beau revenir à toutes rames, j’arrivais toujours trop tard, longtemps après la sortie des classes. L’impression du jour qui tombe, les premiers becs de gaz dans le brouillard, la retraite, tout augmentait mes transes, mon remords. Les gens qui passaient, rentrant chez eux bien tranquilles, me faisaient envie ; et je courais la tête lourde, pleine de soleil et d’eau, avec des ronflements de coquillages au fond des oreilles, et déjà sur la figure le rouge du mensonge que j’allais dire.

Car il en fallait un chaque fois pour faire tête à ce terrible « D’où viens-tu ? » qui m’attendait en travers de la porte. C’est cet interrogatoire de l’arrivée qui m’épouvantait le plus. Je devais répondre là, sur le palier, au pied levé, avoir toujours une histoire prête, quelque chose à dire, et de si étonnant et de si renversant, que la surprise coupât court à toutes les questions. Cela me donnait le temps d’entrer, de reprendre haleine ; et pour en arriver là, rien ne me coûtait. J’inventais des si-