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Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/310

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d’un grand voyage, de la vraie vie du bord.

Malheureusement, ces rencontres de la chaîne étaient rares. Le plus souvent il fallait ramer, et ramer aux heures de soleil. Oh ! les pleins midis tombant d’aplomb sur la rivière, il me semble qu’ils me brûlent encore. Tout flambait, tout miroitait. Dans cette atmosphère aveuglante et sonore qui flotte au-dessus des vagues et vibre à tous les mouvements, les courts plongeons de mes rames, les cordes des haleurs soulevées de l’eau toutes ruisselantes, faisaient passer des lumières vives d’argent poli. Et je ramais en fermant les yeux. Par moments, à la vigueur de mes efforts, à l’élan de l’eau sous ma barque, je me figurais que j’allais très vite ; mais en relevant la tête, je voyais toujours le même arbre, le même mur en face de moi sur la rive.

Enfin, à force de fatigue, tout moite et rouge de chaleur, je parvenais à sortir de la ville. Le vacarme des bains froids, des bateaux de blanchisseuses, des pontons d’embarquement, diminuait. Les ponts s’espaçaient sur la rivière élargie. Quelques jardins de faubourg, une cheminée d’usine, s’y reflétaient de loin en loin. À l’horizon tremblaient des îles vertes. Alors, n’en pouvant plus, je venais me ranger contre la rive, au milieu des roseaux tout bourdonnants ; et là, abasourdi par le soleil, la