Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/326

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de poisson qui meurt ou de plante qui se fane. Quand la meule est sèche, on la brûle et on en tire de la soude.

Cette moisson singulière se fait les jambes nues, à la marée descendante, parmi ces mille petits lacs si limpides que la mer en se retirant laisse à sa place. Hommes, femmes, enfants, s’engagent entre les roches glissantes, armés d’immenses râteaux. Sur leur passage, les crabes effarés se sauvent, s’embusquent, s’aplatissent, tendent leurs pinces, et les chevrettes transparentes se perdent dans la couleur de l’eau troublée. Le goëmon ramené, amassé, est chargé sur des charrettes attelées de bœufs sous le joug, qui traversent péniblement, la tête basse, le terrain accidenté. De quelque côté qu’on se tourne, on aperçoit de ces attelages. Parfois, à des endroits presque inaccessibles, où on arrive par des sentiers abrupts, un homme apparaît conduisant par la bride un cheval chargé de plantes tombantes et ruisselantes. Vous voyez aussi des enfants transporter sur des bâtons croisés en brancards leur glane de cette moisson marine. Tout cela forme un tableau mélancolique et saisissant. Les goëlands épouvantés volent en criant autour de leurs œufs. La menace de la mer est là, et ce qui achève de solenniser ce spectacle, c’est que, pendant cette récolte faite aux sillons