Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/325

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

plus clair, entouré de plus d’espace. Mais ce qui est vraiment beau, c’est l’amoncellement des moissons au bord de la mer, les meules dorées au-dessus des flots bleus, les aires où tombent les fléaux en mesure, et ces groupes de femmes sur les rochers à pic, prenant la direction de l’air et vannant le blé entre leurs mains levées, avec des gestes d’évocation. Les grains tombent en pluie régulière et drue, tandis que le vent de la mer emporte la paille et la fait tourbillonner. On vanne sur la place de l’église, sur le quai, jusque sur la jetée, où de grands filets de pêche sont étendus, en train de sécher leurs mailles entremêlées de plantes d’eau.

Pendant ce temps-là une autre moisson se fait aussi, mais au bas des roches, dans cet espace neutre que la marée envahit et découvre tour à tour. C’est la récolte du goëmon. Chaque lame, en déferlant sur le rivage, laisse sa trace en une ligne ondulée de végétations marines, goëmon ou varech. Lorsque le vent souffle, les algues courent en bruissant le long de la plage, et aussi loin que la mer se retire sur les rochers, ces longues chevelures mouillées se plaquent et s’étalent. On les recueille par lourdes gerbes et on les amoncelle sur la côte en meules sombres, violacées, gardant toutes les teintes du flot, avec des irisements bizarres