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II

l’allemagne du sud


Parlez-moi des peuples à sang lourd ! En pleine guerre, sous ce grand soleil d’août, tout le pays d’outre-Rhin, depuis le pont de Kehl jusqu’à Munich, avait l’air aussi froid, aussi tranquille. Par les trente fenêtres du wagon wurtembergeois, qui m’emmenait lentement, lourdement, à travers la Souabe, des paysages se déroulaient, des montagnes, des ravins, des écroulements de riche verdure où l’on sentait la fraîcheur des ruisseaux. Sur les pentes qui disparaissaient en tournant, au mouvement des wagons, des paysannes se tenaient toutes raides au milieu de leurs troupeaux, vêtues de jupes rouges, de corsages de velours, et les arbres étaient si verts autour d’elles, qu’on eût dit une bergerie tirée d’une de ces petites boîtes de sapin qui sentent bon la résine et les forêts du Nord. De loin en loin, une douzaine de fantassins habillés de vert emboîtaient le pas dans un pré, la tête droite, la jambe en l’air,