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Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/48

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Vers huit heures, on entendit le canon.

« C’est Aubervilliers… On se bat au Bourget », fit le bonhomme, qui connaissait tous ses forts. Le petit Stenne devint pâle, et, prétextant une grande fatigue, il alla se coucher, mais il ne dormit pas. Le canon tonnait toujours. Il se représentait les francs-tireurs arrivant de nuit pour surprendre les Prussiens et tombant eux-mêmes dans une embuscade. Il se rappelait le sergent qui lui avait souri, le voyait étendu là-bas, dans la neige, et combien d’autres avec lui !… Le prix de tout ce sang se cachait là, sous son oreiller, et c’était lui, le fils de M. Stenne, d’un soldat… Les larmes l’étouffaient. Dans la pièce à côté, il entendait son père marcher, ouvrir la fenêtre. En bas, sur la place, le rappel sonnait, un bataillon de mobiles se numérotait pour partir. Décidément, c’était une vraie bataille. Le malheureux ne put retenir un sanglot.

« Qu’as-tu donc ? » dit le père Stenne en entrant.

L’enfant ne tint plus, sauta de son lit et vint se jeter aux pieds de son père. Au mouvement qu’il fit, les écus roulèrent par terre.

« Qu’est-ce que cela ? Tu as volé ? » dit le vieux en tremblant.

Alors, tout d’une haleine, le petit Stenne raconta qu’il était allé chez les Prussiens et ce