Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/60

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

entêté de gloire et de patriotisme, qui dès le début de la guerre était venu se loger aux Champs-Élysées, dans un appartement à balcon… Devinez pourquoi ? Pour assister à la rentrée triomphale de nos troupes… Pauvre vieux ! La nouvelle de Wissembourg lui arriva comme il sortait de table. En lisant le nom de Napoléon au bas de ce bulletin de défaite, il était tombé foudroyé.

« Je trouvai l’ancien cuirassier étendu de tout son long sur le tapis de la chambre, la face sanglante et inerte comme s’il avait reçu un coup de massue sur la tête. Debout, il devait être très grand ; couché, il avait l’air immense. De beaux traits, des dents superbes, une toison de cheveux blancs tout frisés, quatre-vingts ans qui en paraissaient soixante… Près de lui sa petite-fille à genoux et tout en larmes. Elle lui ressemblait. À les voir l’un à côté de l’autre, on eût dit deux belles médailles grecques frappées à la même empreinte ; seulement l’une antique, terreuse, un peu effacée sur les contours ; l’autre resplendissante et nette, dans tout l’éclat et le velouté de l’empreinte nouvelle.

« La douleur de cette enfant me toucha. Fille et petite-fille de soldat, elle avait son père à l’état-major de Mac-Mahon, et l’image de ce grand vieillard étendu devant elle évo-