Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/75

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rôde autour de la maison, attendant le départ du père pour entrer. Elle voudrait le gronder, mais elle n’en a pas le courage. Il y a si longtemps qu’elle ne l’a vu, embrassé ! Puis il lui donne de si bonnes raisons : qu’il s’ennuyait du pays, de la forge, de vivre toujours loin d’eux ; avec ça la discipline devenue plus dure, et les camarades qui l’appelaient « Prussien », à cause de son accent d’Alsace. Tout ce qu’il dit, elle le croit. Elle n’a qu’à le regarder pour le croire. Toujours causant, ils sont entrés dans la salle basse. Les petits réveillés accourent pieds nus, en chemise, pour embrasser le grand frère. On veut le faire manger, mais il n’a pas faim. Seulement il a soif, toujours soif, et il boit de grands coups d’eau par-dessus toutes les tournées de bière et de vin blanc qu’il s’est payées depuis le matin au cabaret.

Mais quelqu’un marche dans la cour. C’est le forgeron qui rentre.

« Christian, voilà ton père. Vite, cache-toi, que j’aie le temps de lui parler, de lui expliquer… » et elle le pousse derrière le grand poêle en faïence, puis se remet à coudre, les mains tremblantes. Par malheur, la chéchia du zouave est restée sur la table, et c’est la première chose que Lory voit en entrant. La pâleur de la mère, son embarras… il comprend tout.