Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/76

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« Christian est ici !… » dit-il d’une voix terrible, et, décrochant son sabre avec un geste fou, il se précipite vers le poêle où le zouave est blotti, blême, dégrisé, s’appuyant au mur, de peur de tomber.

La mère se jette entre eux.

« Lory, Lory, ne le tue pas… C’est moi qui lui ai écrit de revenir, que tu avais besoin de lui à la forge… »

Elle se cramponne à son bras, se traîne, sanglote. Dans la nuit de leur chambre, les enfants crient d’entendre ces voix pleines de colère et de larmes, si changées qu’ils ne les reconnaissent plus… Le forgeron s’arrête, et, regardant sa femme :

« Ah ! c’est toi qui l’as fait revenir… Alors, c’est bon, qu’il aille se coucher. Je verrai demain ce que j’ai à faire. »

Le lendemain, Christian, en s’éveillant d’un lourd sommeil plein de cauchemars et de terreurs sans cause, s’est retrouvé dans sa chambre d’enfant. À travers les petites vitres encadrées de plomb, traversées de houblon fleuri, le soleil est déjà chaud et haut. En bas, les marteaux sonnent sur l’enclume… La mère est à son chevet ; elle ne l’a pas quitté de la nuit, tant la colère de son homme lui faisait peur. Le vieux non plus ne s’est pas couché. Jusqu’au matin il a marché dans la maison, pleu-