Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/126

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n’ai pas le droit de l’engager. Me voyez-vous faisant faillite ! » Sa voix tremblait en prononçant ce mot de faillite.

– Mais puisque tout sera en mon nom, disait Delobelle, qui n’avait pas de superstition. Il essaya de tout, invoqua les intérêts sacrés de l’art, alla même jusqu’à parler des petites actrices dont les œillades provoquantes… Risler eut un gros rire :

– Allons, allons, farceur… Qu’est-ce que vous me racontez-là… Vous oubliez que nous sommes mariés tous les deux, même qu’il est très tard et que nos femmes doivent nous attendre… Sans rancune, n’est-ce pas ?… Ce n’est pas un refus, vous comprenez bien… Tenez ! venez me voir après l’inventaire. Nous en recauserons… Ah ! voilà le père Achille qui éteint son gaz… Je rentre. Adieu.

Il était plus d’une heure du matin quand le comédien rentra chez lui. Les deux femmes l’attendaient en travaillant comme toujours, mais avec quelque chose de fébrile et de vif qu’elles n’avaient pas d’habitude. À chaque instant les grands ciseaux dont la maman Delobelle se servait pour couper les fils de laiton, étaient pris de frémissements singuliers, et les petits doigts de Désirée, en train de monter une parure, donnaient le vertige à regarder, tellement ils allaient vite. Étalées sur la table devant elle, les longues plumes des oiseaux-mouches semblaient avoir aussi je ne sais quoi de plus brillant, d’un coloris plus riche que les autres jours C’est qu’une belle visiteuse appelée l’Espérance était venue ce soir-là. Elle avait