Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/127

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

fait ce grand effort de monter cinq étages dans un escalier noir, et d’entrebâiller la porte du petit logis, pour y jeter un regard lumineux. Quelques déceptions qu’on ait eues dans la vie, ces lueurs magiques vous éblouissent toujours.

– Oh ! si le père pouvait réussir…, disait de temps en temps la maman Delobelle, comme pour résumer un monde de pensées heureuses auxquelles sa rêverie s’abandonnait.

– Il réussira, maman, sois-en sûre. Monsieur Risler est si bon, je réponds de lui. Sidonie aussi nous aime bien, quoique depuis son mariage elle paraisse négliger un peu ses amis. Mais il faut tenir compte des situations… D’ailleurs, je n’oublierai jamais ce qu’elle a fait pour moi.

Et au souvenir de ce que Sidonie avait fait pour elle, la petite boiteuse s’activait encore plus fébrilement à son ouvrage. Ses doigts électrisés s’agitaient avec un redoublement de vitesse. On aurait dit qu’ils couraient après quelque chose de fugitif, d’insaisissable, comme le bonheur, par exemple, ou l’amour de quelqu’un qui ne vous aime pas.

« Qu’est-ce qu’elle a donc fait pour toi ? » aurait dû lui demander la mère, mais ce que disait sa fille ne l’intéressait guère en ce moment. Elle ne pensait qu’à son grand homme :

– Hein ! crois-tu, fillette ?… Si le père allait avoir un théâtre à lui, s’il allait se remettre à jouer comme autrefois ! Tu ne te souviens pas, tu étais trop petite alors. Mais c’est qu’il avait un succès fou, des rappels.