Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/130

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sénilement la tête à chacune des paroles de son mari.

Vraiment, quelqu’un qui n’eût pas connu l’illustre Delobelle aurait pu, après ce long monologue, raconter toute son existence en détail. Il rappelait son arrivée à Paris, ses déboires, ses privations… Hélas ! ce n’est pas lui qui s’était privé. Il n’y avait qu’à voir sa large face épanouie à côté de ces deux visages de femmes tirés et amaigris. Mais le comédien n’y regardait pas de si près, et continuant à se griser de mots déclamatoires :

– Oh ! disait-il, avoir tant lutté… Dix ans, quinze ans que je lutte, soutenu par ces créatures dévouées, nourri par elles.

– Papa, papa, taisez-vous…, suppliait Désirée, les mains jointes.

– Si, si, nourri par elles, et je n’en rougis pas… Car c’est pour l’art sacré que j’accepte tous ces dévouements… Mais maintenant c’en est trop. On m’en a trop fait. Je renonce.

– Oh ! mon ami, que dis-tu là ? cria la maman Delobelle en s’élançant vers lui.

– Non, laisse-moi… Je suis à bout de forces. Ils ont tué l’artiste en moi. C’est fini… Je renonce au théâtre.

Alors, si vous aviez vu les deux femmes l’entourer de leurs bras, le prier de lutter encore, lui prouver qu’il n’avait pas le droit de renoncer, vous n’auriez pas pu retenir vos larmes. Delobelle résistait pourtant. Enfin il se rendit, promit de tenir bon encore quelque temps, puisqu’elles le voulaient ; mais il en avait fallu des supplications et des caresses pour en arriver là.