Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/140

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Le pauvre homme ne se doutait pas que depuis un mois Sidonie avait choisi elle-même chez Binder, le coupé que Georges Fromont voulait lui offrir, et qu’on passait soi-disant aux frais généraux pour ne pas effaroucher le mari.

Il était si bien l’être destiné à se faire tromper toute la vie, ce bon Risler. Son honnêteté native, cette confiance aux hommes et aux choses qui faisaient le fond de sa nature limpide se doublaient encore depuis quelque temps des inquiétudes que lui donnait la poursuite de cette imprimeuse Risler destinée à révolutionner l’industrie des papiers peints, et qui, à ses yeux, représentait son apport dans l’association. Sorti de ses épures, de son petit atelier du premier, il avait constamment la physionomie absorbée des gens qui ont leur vie d’un côté et leurs préoccupations d’un autre. Aussi quel bonheur pour lui de trouver en rentrant son intérieur bien calme, sa femme de bonne humeur, toujours parée et souriante. Sans s’expliquer le pourquoi de ce changement, il constatait que depuis quelque temps la « petite » n’était plus la même à son égard. Maintenant elle lui permettait de reprendre ses anciennes habitudes : la pipe au dessert, le petit somme après diner, les rendez-vous à la brasserie avec M. Chèbe et Delobelle. Leur intérieur aussi s’était transformé, embelli. De jour en jour le confort y faisait place au luxe. De ces inventions faciles de jardinières fleuries, de salon ponceau, Sidonie arrivait aux raffinements de la mode, aux manies de meubles antiques et de faïences rares. Sa chambre était tendue de soie bleu tendre, capitonnée